tree trunks during daytime
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Un hôpital aux noms de plantes

Au cours de ma formation post-graduée, j’ai travaillé comme médecin-assistante dans le magnifique cadre de l’hôpital de Malévoz.
Imagine, tu sors de ton bureau et tu te retrouves au milieu de séquoias, cèdres et autres majestueux arbres centenaires, de jardins ornementaux parfaitements entretenus, de massifs de fleurs odorants.
Du petit balcon de ton bureau aux murs boisés et au parfum de chalet, tu as une vue sur les montagnes, tu entends les oiseaux chanter et peut-être, avec un peu de chance, tu aperçois un écureuil passer.
Les patient·es sont hospitalisés dans des pavillons qui portent des noms de plantes – le Laurier, le Châtaignier, le Muguet, la Forêt…
 
Bienvenue à l’hôpital psychiatrique.
 
Quand on prononce ce nom, Malévoz, cela provoque souvent une sensation de recul, de rejet, de dégoût, d’angoisse. J’en vois même qui, à l’évocation de ce nom, joignent les mains, Jésus Marie Joseph, pourvu n’y jamais mettre les pieds.
 
Car oui, l’hôpital psychiatrique est un monde qui fait peur.
Et il y a de quoi, car son passé (et même sans doute encore une partie de son présent) n’est pas que reluisant. On pense aux pratiques dégradantes, à l’enfermement, à l’isolement, à la contention physique, à la violence.
 
L’hôpital psychiatrique est un monde qui me faisait peur, à moi aussi.
Et pourtant, je peux te dire qu’en réalité, cela ressemble assez peu à l’idée sombre que l’on s’en fait.
J’ai conscience que cela est peut-être propre à l’hôpital de Malévoz, assez unique en son genre… Mais je garde espoir cela ne soit pas un cas isolé.
J’ai découvert un lieu ouvert. Un lieu de vie. Où les émotions se vivent peut-être plus fort qu’ailleurs.
La tristesse infinie, la peur paralysante, la colère destructrice. Mais aussi la joie, qui, par moment, explose.
Finalement, où l’on fait toustes partie du même bateau qu’est la vie, soignant·es comme patient·es.
 
J’ai donc passé quelques mois à l’hôpital de Malévoz, du côté soignant.
Et ce fut une expérience aussi difficile qu’enrichissante.
J’en garde d’excellents souvenirs, et en même temps, j’ai quand même failli partir après trois mois.
Car se confronter à la souffrance psychique de l’autre peut être terriblement éprouvant – d’autant plus lorsque l’on est, comme moi, une véritable éponge émotionnelle.
 
Aussi bizarre que tu puisses trouver cela, j’ai aimé travailler dans cet hôpital psychiatrique, car c’est un lieu où le temps a une autre valeur que dans la plupart des autres services hospitaliers.
Où la relation est l’élément essentiel du soin. Où l’on a finalement l’espace de se poser des questions essentielles, existentielles, d’aborder les sujets les plus intimes et les plus difficiles de la vie, d’aller explorer la conscience humaine, les recoins sombres et d’y déceler, bien cachées, les pépites brillantes qui nous maintiennent en vie.
Ici plus qu’ailleurs on part en quête de sens. Car souvent, la souffrance psychique est liée à une perte de sens. Et c’est là tout le travail : comment retrouver ce sens qui soudain fait défaut ?
 
On est là pour aider à dérouler la bobine de fil, à défaire les noeuds, à trouver des solutions, à prendre du recul, à mettre ensemble les pièces du puzzle. Parfois avec l’aide de médicaments. Mais pas que…

Qu’est-ce qui soigne en psychiatrie…?
 
Chacun·e des patient·es dont j’ai croisé la route m’a marquée à sa manière.
 
Et là, j’ai rencontré d’incroyables collègues. Ils ont été ce soutien sans faille nécessaire pour naviguer dans l’océan houleux des troubles psychiques.
 
Si les psychiatres font autant de pauses café, c’est probablement parce qu’il y a besoin de sas de décompression pour ne pas se laisser engloutir par la souffrance existentielle de l’autre.

Pavillon du Laurier, un film de Christian Berrut, nous emmène dans le quotidien des soignant·es de l’un des pavillons de l’hôpital de Malévoz.
Il est disponible en accès libre jusqu’au 3 août sur le site de la rts, et je t’encourage à le visionner.
Ne serait-ce que pour démystifier le monde de l’hôpital psychiatrique.

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